0

PL1
PL3
Boat-and-Trailer-iconpng copy 1

1  barque

(36 tonnes de CO²)

  Poids lourds

(123 tonnes de CO²)

PL2
photo Chapitre 2 recadrée

Face à l’urgence climatique, l’écologie est devenue l’une des principales préoccupations des Français.e.s. Europe Ecologie Les Verts est même devenue la troisième force politique de l'échiquier français lors des dernières élections européennes. À Paris, l’actuelle maire Anne Hidalgo en a fait son cheval de campagne et tente de réduire la pollution de l’air en limitant le trafic automobile par tous les moyens. Toutefois, un secteur a été délaissé dans la lutte contre nos émissions de gaz à effet de serre : celui du transport fluvial, qui pourtant regroupe de nombreux avantages écologiques et économiques. Ses émissions carbones sont quatre fois moindre que le routier et son coût est divisé par deux.

 

Alors comment la Seine pourrait être utilisée dans le transport de produits frais d'origine agricole ? 

 

 

Une enquête réalisée par Emile Benech et Eugénie Barba

graphique amap gif

Graphiques réalisés par le Réseau AMAP Île-de-France

Aujourd’hui seuls 8 à 9% des marchandises sont transportées par bateau en France. À Paris, la municipalité redonne progressivement une place au fluet fluvial pour diminuer la circulation de poids lourds. C’est d’ailleurs l’une des principales préoccupations de la municipalité parisienne qui a fait de l’écologie le point phare de son programme politique. Toutefois, elle se concentre principalement sur le transport de matériaux de construction et non sur les marchandises alimentaires. 

 

Dans le cadre du Grand Paris Express, elle a signé en octobre 2018 une convention pour que 8 millions de tonnes de déblais de construction, sur les 45 millions, soient évacués via la Seine. Un convoi qui équivaut à 400 000 camions, souligne le rapport de la Direction régionale et interdépartementale de l’équipement et de l’aménagement d’Île-de-France (DRIEA). Toujours dans l’optique de réduire les émissions de gaz à effet de serre, la Seine pourrait aussi servir pour les futurs chantiers des JO 2024 qui visent la neutralité carbone. C’est en tout cas ce qu’espère VNF qui estime que "le recours au transport fluvial pour les chantiers olympiques devrait concerner 1,4 million de tonnes de matériaux à approvisionner et à déblayer.(…) 25 000 à 70 000 camions qui pourraient être évités". 

 

Les intérêts et avantages du transport fluvial n’ont par ailleurs pas échappé au gouvernement d’Edouard Philippe. En octobre 2019, le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin et le secrétaire d'Etat aux Transports Jean-Baptiste Djebbari, ont donné leur feu vert au projet du canal Seine-Nord. Un chantier colossal estimé à 5 milliards d’euros permettant de relier la Seine au réseau fluvial de l’Europe du Nord et ainsi faciliter le transport de marchandises.

La Seine joue un rôle majeur dans la vie des francilien.ne.s. Son lit remorque depuis le Xe Siècle des hommes et des marchandises. Mais la navigation s’est ralentie depuis les années 1970, remplacée progressivement par le transport routier, qui permet l’acheminement de produits de tous horizons. La raison ? Le manque d’investissement et d’entretien du réseau. Pourtant, le mode fluvial présente de nombreux atouts, écologiques et économiques. Bien qu’il ne soit pas rapide, il est quatre fois moins polluant que le routier et son tonnage  lui permet de diviser par trois ou quatre le prix de transport. "Un convoi fluvial de 5 000 tonnes équivaut à 250 camions en moins sur les routes", selon Voies Navigables de France (VNF), l’organisation publique qui gère les infrastructures fluviales. Autre avantage : le faible taux de nuisance sonore et d’accident.

 

 

Poissy, Yvelines.

 

La ville de 38 000 habitants s’est toujours enorgueillie de sa proximité à la Seine qui la borde, et dont l’un des poissons est son blason. Mais l’ancienne cité royale n'a plus rien d’une pêcherie, elle s’est transformée en cité industrielle au début du XXe Siècle.  L’agriculture n’occupe d’ailleurs plus qu’une place très marginale de son économie, avec 0.02% des emplois. Pourtant, cette activité cherche un second souffle. La ferme bio de Normandie y est installée depuis deux générations. D’irréductibles gaulois ? “Des amoureux des produits frais et des modes de consommation responsable”, répond Suzanne, la gérante. Elle qui a fait le choix, en 1996, de passer entièrement en agriculture biologique, est depuis à la recherche de nouveaux modes de ventes, pour diversifier son économie. 

 

Ici, la spécialité, ce sont les animaux. Cochons, moutons, agneaux, “même si nous avons aussi développé une partie maraîchère, pour pouvoir fournir à nos clients des produits frais et de saison”. Si elle tient un point de vente quotidien à sa ferme et vend sur les marchés parisiens une fois par semaine, Suzanne est toujours à la recherche de nouveaux débouchés directs. Son exploitation, à 3 kilomètres de la Seine, est parfaitement située pour faire partir ses récoltes sur Paris via le transport fluvial. “L’idée correspond parfaitement à nos critères. Surtout si elle nous permet d'avoir un accès direct aux consommateurs."

 

Comme Suzanne, ils sont près de 280 agriculteurs à avoir une exploitation située près de la Seine, entre Rouen et Paris.  Un positionnement qui pourrait leur permettre d'adopter la desserte fluviale pour tenter de diversifier leurs activités et  se  passer des distributeurs aux  marges acérées. 

Avec près de 774 kilomètres de long, le bassin de la Seine concentre aujourd’hui plus du tiers de l’activité fluviale en France. D'après VNF, 21,2 millions de tonnes de marchandises de toute nature ont été transportées sur ce fleuve en 2018. Toutefois, la Seine est très peu utilisée pour acheminer des produits frais qui viennent directement des producteurs.rices et fermier.e.s. Comme le montre le graphique, les 16,81% regroupant les produits agricoles et les denrées alimentaires transportées sur la Seine s'expliquent en réalité par la  distribution céréalière.

Le transport de produits frais sur le bassin de la Seine pourrait par ailleurs répondre aux attentes des Francilien.ne.s. qui souhaitent la création de nouveaux cycles de consommations, plus courts.

La crise du nouveau coronavirus a d’ailleurs fait un peu plus émerger la volonté citoyenne de s’engager à travers notamment des circuits courts. “la Ruche qui dit Oui !”, entreprise solidaire d’utilité sociale (ESUS), qui permet d’acheter directement au producteur, a par exemple triplé son nombre de commandes partout en France depuis le début du confinement. Ce bond s'explique en partie par l'arrivée de 40 000 nouveaux clients. Selon une enquête réalisée par l’entreprise, sur  600 nouveaux clients, cette arrivée massive s’explique d’abord par l’envie des consommateurs de soutenir les producteurs locaux (57,5%), puis par l’envie de mieux consommer (38%). Ces dernières années, le nombre d’AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) n’a cessé de croître en Île-de-France depuis sa première apparition en 2003. Leur nombre est passé de 50 en 2005 à 330 en 2019.

 

Pour Edouard Carteron, président de l’AMAP Les gastronomes engagés implantée en plein coeur de Paris, l’idée d’aller chercher les produits frais au bord de Seine est intéressante. D’autant plus que son association s'approvisionne chez un producteur situé sur l’Oise, principal affluent de la Seine. Même “s’il faudrait revoir toute notre organisation” , estime-t-il. Actuellement, c’est le producteur qui vient déposer tous les mercredis ses produits frais au volant de son camion. "Trois à quatre adhérents sont responsables de la distribution, ils aident à décharger le camion, préparent les paniers et rangent le camion avant que notre maraîcher ne reprenne la route"“Il nous faudrait plus de bénévoles pour que chaque semaine, quelqu'un aille les chercher au bord de Seine” , confie-t-il avant d’ajouter qu’il y a bien “une prise de conscience de la part des Parisiens et Parisiennes à vouloir consommer différemment, mais qu’encore peu de personne s’engage dans un organisme”.

projet canal seine nordjpg

Port de Rouen , Seine Maritime.

 

Lorsque Andy décroche son téléphone, à 8h30, il est debout depuis pas moins de 3 heures. “Batelier, c’est pas un métier comme les autres. Mais j’suis né sur un bateau, je pourrais pas vivre à terre”. Son bateau est arrimé au quai de déchargement. Sa rotation hebdomadaire entre Meaux et le chef-lieu de Normandie prend fin, l’espace d’un instant. Le Bornéo, son automoteur pousseur, est un mastodonte. Dans ses 73 mètres de long et 11 mètres de large, il peut contenir jusqu’à 1175 tonnes de marchandise. Soit l'équivalent de 47 millions de carottes. Le marinier ne le quitte presque jamais, et a son appartement sous la salle des commandes. Porte-parole des bateliers, il ne se fait pas d’illusion sur son métier: “c’est un métier dur, en fin de vie. La France a le plus large réseau de navigation fluvial d’Europe, mais l’un des plus délabrés aussi. La priorité a été mise sur la route depuis 30 ans. Et nous, on souffre”.

Le problème du métier, ce sont les opérateurs. Ils connaissent les coûts du batelier, et en profitent. “ Lorsque je décroche un marché, mon coût de revient a déjà été calculé . C’est simple, ils ne me laissent presque rien.” Le nombre de bateliers a chuté ces dernières années, aux alentours de 5000 vers la fin du XXe Siècle à 800 indépendants aujourd'hui. Si le nombre de professionnels s'est stabilisé, une partie souffre d'importants problèmes financiers.

Alors rechercher des clientèles directes, voilà une idée qui plaît au marinier. “Pour mon tonnage, faut pas se leurrer, c’est impossible. Mais pour des petits automoteurs, de 50-100 tonnes, là,  c’est une idée.”

Paris Poissyjpg
Les deux brigandsjpg

Les 2 brigands

 

À l'occasion du Trophée environnemental de la flotte fluviale 2018, où Andy a gagné le prix de bateau de marchandises, il a fait la rencontre de l'association le Marché sur l'eau. Primé dans la catégorie innovation RSE (responsabilité sociale et environnementale), le  Marché sur l'eau a pour but d'acheminer des  fruits et légumes en circuit court.  Elle distribue ainsi les produits d'exploitations situées à moins de 100 km de Paris, qui  respectent des critères d'agriculture peu intensive.

Le bateau Les 2 brigands, rénové en 2018, fonctionnant grâce  au paneau photovoltaïque sur son toit.

 

bateau rognéjpg

 

Batelier, une profession en manque d'avenir

champs rognéjpg

 

Un monde agricole en recherche de circuits courts

 

Un Paris écolo photo rognéejpg

 

marché rognéjpg

 

Des franciliens demandeurs

Un Paris écologique 

 

 

La Seine, un atout pour

  l'écologie francilienne

La Seine, une opportunité pour les circuits courts alimentaires 

  • Plus de 300 magasins Franprix franciliens livrés par voie fluviale.

  • 21 km de navigation entre le Port de Bonneuil  et le Quai de la Bourdonnais (3 heures)

  • 42 conteneurs sont transportés chaque jour par la Seine, soit environ 800 tonnes de marchandises.

  • 3 615 camions en moins sur les routes (420.000 km de route évités)

  • 82 600 L de carburant économisés

300 magasins Franprix sont approvisionnés

via la Seine

 

 

Depuis 2012, Franprix utilise la Seine pour approvisionner ses supérettes parisiennes. Le nombre de magasins livrés par bateau est passé de 80 à ses débuts à 300 depuis 2016. 60 à 70% des produits vendus par ces magasins ont voyagé sur le fleuve entre le port de Bonneuil-sur-Marne (Val-de-Marne) et le quai de la Bourdonnais, positionné près de la tour Eiffel. Il s’agit uniquement de produits secs. Ce choix logistique permet de répondre aux exigences environnementales et d’éviter les inconvénients de la route comme les accidents, la pollution et les retards de livraison. Dans le secteur de l’alimentaire, Franprix est à ce jour la seule grande enseigne à s’être lancée mais d’autres entreprises pourraient prendre exemple.

Boat-and-Trailer-iconpng copy (1)
Boat-and-Trailer-iconpng copy (2)

Pour chaque tonne de marchandises transportées sur 1 km, un navire émet 12g de CO2

tank-wagon-icon.png copy
tank-wagon-icon.png copy (1)

Pour chaque tonne de marchandises transportées sur 1 km, un train émet 14g de CO2

DAF-Tipper-Container-Truck-icon.png copy
DAF-Tipper-Container-Truck-icon.png copy (1)

Pour chaque tonne de marchandises transportées sur 1 km, un camion émet 76g de CO2

Si les avantages du transport fluvial sont évidents et qu'il répond aux problématiques que rencontrent les acteurs économiques locaux ainsi qu'aux attentes des consommateurs, force est de constater une quasi-absence de volonté politique locale. Selon Philippe Papy, architecte ayant travaillé sur le Grand Paris cette dernière décénnie, plusieurs dizaines de projets ont été déposés, prenant en compte l'importance de la Seine au sein de l'écosystème francilien. Aucun n'a été concrétisé. La maire de Paris a pourtant fait de l'écologie son cheval de bataille pour sa liste municipale "Paris en commun". À l'intérieur, la seule proposition prenant en compte le fluvial concerne le transport des personnes. 

Une barque qui émet 36 tonnes de CO² transporte autant de marchandises que 125 poids lourds qui émettent 123 tonnes de CO²

Répartition des marchandises (en tonnes) transportées sur le bassin de la Seine en 2018

graph_legend2png

Ces données ont été fournies par Franprix 

Rouen Parisjpg